29 janvier 2013

Perméable

Je ne sais pas si c'est la fatigue accumulée, les nouvelles plus ou moins dures reçues ces derniers temps, une série de patients particulièrement en grande souffrance, ou aussi - mais aussi ? - mon expérience clinique qui s'approfondit - ou encore ce qui me constitue de toute façon, mais je me sens de plus en plus perméable ces derniers temps à ce qui circule entre les patients et moi - moins à leurs histoires pourtant parfois tragiques qu'aux affects, ressentis, demandes, angoisses parfois sans nom qui me traversent le temps de la séance, tissent le lien thérapeutique - et parfois restent, me laissant la gorge serrée d'un chagrin qui n'est pas le mien, la nuit perturbée par une angoisse qui ne m'appartient pas.

L'autre jour, une patiente (qui comparativement à d'autres, va relativement bien), synthétisait mes propos en disant, Finalement, l'objectif ce serait d'arrêter d'être une passoire ! Pour ma part, ce serait plutôt d'être peut-être un peu moins une éponge - ou alors juste la dose utile. Recevoir, reconnaître, transformer, restituer - quand c'est possible - c'est un métier passionnant - je n'en ferais pas d'autre, pas plus que je ne l’exercerais à temps plein - mais c'est aussi parfois juste trop...

Hier j'ai commencé la journée avec une femme enceinte, un superbe bébé de quatre mois dans les bras, qui se demandait si elle était en mesure d'assumer cette grossesse rapprochée, alors qu'elle n'est remise ni de l'accouchement ni du suicide d'une amie très proche qu'elle a hébergée et portée à bout de bras jusqu'à la fin, dans le même temps ; et je l'ai terminée avec une adulte orpheline, prise dans les glaces d'un deuil impossible depuis ses quatorze ans, venue pour la première fois interroger la remarque apparemment anodine d'une collègue sur son droit à être heureuse - à mon sens il s'agit même de son droit à vivre - non acquis, comme on le lit sur les livrets d'évaluation des enfants d'aujourd'hui...